Maximus-Macsen dans la littérature : Prince « du Rêve » ou usurpateur légitimé, les paradoxes d'un personnage

DOI : 10.54563/gfhla.288

Plan

Texte

How many ambiguities cluster round that man! (Peter Vansittart)

Vous souvenez-vous de Macsen ?
Personne ne le connaît,
Mille six cents ans, c’est trop loin pour s’en souvenir…
Quand Magnus Maximus quitta le pays de Galles
En l’an 383,
Il nous laissa un vraie nation,
Aujourd’hui, regardez-nous,
Nous sommes encore là…

Yma o hyd, ce chant patriotique gallois de Dafydd Iwan est l’un des rares hymnes nationaux (l’autre serait l’hymne roumain, qui mentionne Trajan) à nommer un empereur romain. Il s’agit pourtant d’un usurpateur ou d’un tyran qui n’a régné que cinq ans, de 383 à 388. Cette étrangeté s’explique aisément quand on sait que Maximus, ou Macsen, est réputé avoir entrepris un transfert d’autorité en Grande-Bretagne au profit d’une tribu bretonne, les Votadini de Cunedda, qu’il aurait épousé une princesse bretonne, Hélène, et qu’il fut incorporé très tôt dans des généalogies galloises.

Quelques romans historiques qui occupent une place médiane entre les réécritures arthuriennes et les récits classiques consacrés aux Romains en Grande-Bretagne évoquent ce personnage fascinant qu’est Magnus Maximus. Les imprécisions concernant sa naissance – était-il simple soldat d’origine modeste ou parent du clan théodosien dont nous possédons la généalogie ? – voisinent avec des faits plus précis : ses origines espagnoles, ses capacités militaires, sa politique qui se voulait vertueuse, sa foi nicéenne militante voisinant avec une judéophilie attestée, ses rapports houleux avec Ambroise de Milan sont autant d’éléments qui pourraient intéresser les romanciers. Il y a aussi la référence fascinante à son épouse, dont les chroniqueurs ne révèlent pas le nom, qui aurait participé à des discussions millénaristes au Palais impérial de Trèves avec saint Martin de Tours. Et surtout, il y a son incorporation dans la légendaire galloise qui le distingue de tous les autres usurpateurs analysés dans ce colloque. Venu en sauveur avec Théodose l’Ancien lors de la grande invasion de 367, il serait resté plus de quinze ans en Bretagne (en tant que dux Brittaniarum ?) laissant supposer un enracinement breton pour cet officier supérieur, ou bien, à l’issue d’une carrière qui le conduisit jusqu’en Afrique du Nord, il serait revenu occuper une haute charge quelques années avant son usurpation. Ni sa révolte contre Gratien, ni même le meurtre de ce dernier, ne sont entièrement de son fait ; aussi sa présence en Gaule paraît au départ salvatrice ; usurpateur légitimé, il est reconnu par Théodose durant quatre ans ; finalement il est vaincu et tué quand il se montre trop ambitieux et envahit l’Italie pour en chasser Valentinien II1.

On trouve là tous les ingrédients traditionnels du héros tragique, parvenu au sommet mais trahi ensuite par son hubris et condamné à la défaite par l’hamartia, ou faiblesse, indécision au moment critique, qui donne la victoire à Théodose.

Mais une contradiction majeure se dessine quand on considère sa réputation parmi les Bretons : il dégarnit les défenses de la Bretagne pour passer sur le continent, et pourtant il fait figure de héros dans les textes gallois – dans le Mabinogion avec le Songe de Macsen (Breuddyd Maxen), dans les généalogies, et même à travers ces développements extensifs de sa famille dont témoignent notamment les Triades. Ainsi, en plus de Flavius Victor, exécuté par Arbogast, divers fils lui sont imputés, comme un certain Owain Finddu ; de même une fille, Sevira, aurait été l’épouse de Vortigern.

On ne s’étonnera pas que dans les para-histoires comme les British Chronicles de David Hughes, qui donne Arthur comme ancêtre de SM Élisabeth II, Maxime aussi soit un dynaste, sa veuve, Elen, régnant après lui sur le pays de Galles, suivie par ses fils, dont l’un, Owain se confond avec l’usurpateur Eugenius, vaincu lui aussi par Théodose en 3942.

De Rudyard Kipling à Mary Stewart

Mais notre propos est d’interroger le sort de Maxime dans la fiction historique. Dans cette perspective, l’« Urtext » est Puck of Pook’s Hill de Rudyard Kipling (1906). Dans le conte des « Winged Hats » les deux centurions qui montent la garde sur le Mur d’Hadrien, Parnesius et Pertinax, vouent affection, obéissance et admiration à leur général, Maximus, même s’il lui reprochent de partir à la conquête de la Gaule en affaiblissant gravement les effectifs restés sur place. Vaincu et prisonnier de Théodose, il leur adresse une lettre émouvante, écrite quelques heures avant son exécution et tachée de son sang. Les officiers du vainqueur envoyés dans l’île de Bretagne pour rétablir l’ordre seront magnanimes envers les deux centurions, mais ces derniers refuseront de se rallier à Théodose par loyauté envers le souvenir de Maximus.

On notera que Parnesius et Pertinax sont adeptes du culte de Mithra – inaugurant une tradition littéraire dans le roman historique qui voudra que les officiers romains les plus attachés à l’Empire pratiquent ce culte – même, bizarrement, en pleine époque chrétienne. L’explication serait à chercher dans les affiliations maçonniques de Kipling dont la symbolique, à ses yeux, serait proche de celle de ce dieu mystérieux d’origine iranienne. On retrouve le même motif dans les romans arthuriens de Mary Stewart, où Uther Pendragon est un des « fanatiques de Mithra », ou de Rosemary Stewart, qui fait d’Ambrosius Aurelianus un initié portant la marque de ce dieu ; même le général Maximus dans Eagle in the Snow (1970) de Wallace Breem compte parmi les fidèles du Tauroctone et cette affiliation envers le dieu martial est présentée comme une des raisons de sa fidélité et de son opiniâtreté3.

Kipling esquisse donc une image positive de Maximus et – tout en critiquant ses ambitions démesurées – ne fait aucunement mention de son christianisme militant et encore moins de la persécution qu’il infligea aux Priscillianistes.

Un demi-siècle plus tard, Maximus prend toute sa dimension historique et légendaire – mais (le comble pour un usurpateur) en tant qu’aïeul et garant de la légitimité. Il est le prototype d’empereur breton, dans Sword at Sunset de Rosemary Sutcliff (1963). Dans ce roman, Ambrosius4 transmet à Arthur le sceau de Maximus qu’il fixe dans le pommeau de son épée. En contemplant ce joyau, Arthur songe aux liens qui l’unissent à son arrière-grand-père, « the proud Spanish general who had married a princess of Arfon and so founded our line »5. Après la bataille de Badon, Arthur sera lui aussi proclamé par ses soldats, « even as his own troops had crowned Magnus Maximus my grand-sire Emperor »6. Dans un roman où Arthur réconcilie le celtique, instinctif, maternel, ténébreux, et le romain, rationnel, paternel, lumineux, Maximus incarne ce dernier.

Dans la trilogie de Merlin (The Hollow Hills, The Cristal Cave, The Last Enchantment) de Mary Stewart, le lien est moins politique – Merlin, fils d’Ambrosius, ne saurait être haut-roi ou empereur – qu’affectif et symbolique. Stewart cite spécifiquement le Songe de Macsen quand Merlin, à la recherche du trésor de l’empereur, le chante dans une auberge bretonne. Elle réunit par la même occasion la légende et l’histoire, à sa façon, car tout près de l’auberge est la forge où l’on marqua les chevaux de l’empereur du double M. Le château du Songe n’est autre que Seguntium (Caernarfon), où il épouse la princesse galloise Elen. C’est lui qui défait les Pictes et les Scots (mais on ne lui en accorde pas le mérite) et s’il part sur le continent c’est pour venger l’assassinat de son vieux commandant en chef, Théodose l’Ancien.

Small wonder, in the dark years that followed, that the short stretch of Maximus’ victorious peace should appear to men like a lost age as golden as any the poets sing. Small wonder that the legend of « Macsen the Protector » had grown and grown until his power encompassed the earth, and in their dark times men spoke of him as of a god-sent saviour.7

Plus tard, inaugurant le tropisme de l’Empereur planificateur qu’on retrouvera chez d’autres auteurs, Merlin se rend dans la Maison du Commandant, à Seguntium, où il trouve les restes d’une grande table et les lambeaux de cuir sur les murs, le lieu même où Maximus a rêvé et organisé son aventure impériale :

A general had sat here once, planning to conquer Rome, as formerly Rome had conquered Britain. He had failed, and died, but in failing he had sown the seeds of an idea which after him another king had picked up : « It will be one country, a kingdom in its own right […] ».8

Ainsi, Stewart fait de Maximus le premier roi qui ait rêvé d’un royaume en Grande-Bretagne. Mieux encore, Merlin part à la recherche de l’épée de Maximus (que le fantôme de l’empereur lui a remis en rêve) et cette relique, bizarrement ensevelie sous un autel mithriaque avec un calice, un plat et un fer de lance, rattache l’épopée de l’empereur breton au Graal.

Entre Peter Vansittart et les Anderson

Maximus est désormais bien installé dans les généalogies arthuriennes chez les romanciers historiques. Mais Peter Vansittart se garde bien d’en faire l’aïeul d’un Arthur profondément barbare et le rattache plutôt à Ambrosius. Dans Lancelot (1973), il y a plusieurs références à Maxime, pour commencer dans le nom du narrateur, Ker Maxim, plus tard surnommé Lancelot, qui représente la romanité. On est sourcilleux de sa réputation, et s’il a dégarni les défenses de la Bretagne, au moins est-il entré à Rome avec ses Bretons en triomphateur. Le père de Ker Maxim dénonce ce procédé dangereux, auquel se livra, vingt ans plus tard, un certain Constantin III :

Reinforcements for Maximus. I myself saw it all again, but fewer men, more disorder. For that British fellow calling himself Constantine. Constantine ! Not one man returned.9

Et pourtant, rien ne saurait prévaloir contre la légende :

Likewise Maximus was now the titan-like Emperor Macsen Wledig , Christians praying to his wife Elen as Lady of roads, out of spite for Mercury.10

Cependant, l’image la plus mémorable de Maximus, vue a posteriori, est celle que brosse Ker Maxim lorsqu’il fait remarquer que « I saw not the empurpled Hispaniard warrior, but only a great head bleeding in the dust »11 – une imagerie qui rend compte du dérisoire pitoyable dans lequel s’abîment bien souvent les équipées martiales, que j’ai eu l’occasion de comparer à l’évocation de la tête coupée de Mishima par Marguerite Yourcenar12. Peu d’œuvres, en revanche, ont mis en narration Maximus de son vivant.

On signalera d’abord la tétralogie d’Ys (Roma Mater, Gallicenae, Dahut, The Dog and the Wolf) de Poul et Karen Anderson. Non seulement Maximus est saisi sur le vif, mais on n’hésite pas à le dépeindre en chrétien persécuteur et fanatique. Tout d’abord les auteurs renouent avec Kipling. Dans Roma Mater (1986), le centurion Gratillonius (plus tard le roi Grallon d’Ys) est le protégé de Parnesius, l’un des deux centurions de Puck ; comme lui, il est adepte de Mithra. Il a combattu pour défendre le Mur d’Hadrien sous les ordres du duc des Bretagnes Maximus, lequel, malgré la différence de religion, lui confie la tâche de rétablir la présence romaine à la pointe de l’Armorique en se rendant dans la mystérieuse ville d’Ys, (jadis pourvue d’un système de défense efficace grâce à un ingénieur romain.

Maximus est présenté de façon assez stéréotypée – puisqu’il est Espagnol : « the uplands of Hispania Tarraconensis. It showed in his height and lean, hatchet features, olive skin, hair stiff and black and slightly grizzled. It also softened his Latin […]. » Au cours de l’entretien, qui se déroule dans la salle de commandement (qui rappelle celle où se rend Merlin à Seguntium), Maximus évoque « poor, plundered Rome », conspue l’empereur d’Occident (Gratien) « a plaything of his Frankish general », le second (Valentinien) « the plaything of his mother », et même Théodose se voit reprocher de payer un tribut aux Goths, hérétiques ariens quand ils ne sont pas païens : « By the great name of God, Rome shall not suffer this ! Mother, your hour of deliverance draws near. »13 Gratillonius se rend compte, avec un frisson, qu’il assiste au même genre de sursaut militaire, venu de Bretagne, qui a abouti à la proclamation du « great Constantine » quatre-vingts ans plus tôt, mais aussi à celle de Magnence, dont l’échec ne devrait pas décourager d’autres émules. Les auteurs ont la finesse de supposer qu’on ne gardait pas une armée sous le commandement d’un général tel que Maximus quinze ans sans activité, confinée sur la frontière, sans inviter une révolte. Aussi, le centurion accepte la mission que lui confie celui qui sera proclamé empereur, et durant une partie de son voyage, aura pour compagnon Cunedag (Cunedda) des Votadini, Anderson faisant sienne l’hypothèse selon laquelle Maximus aurait effectué une dévolution des défenses du Nord au profit de cette tribu.

Cette vision mitigée de Maximus – de grandes capacités, mais chrétien fanatique et homme coléreux – s’aggrave dans le deuxième volume, Gallicenae (1987). Sa mission accomplie, Gratillonius se rend à Trèves pour faire son rapport, mais on a rapporté à Maximus les étranges cérémonies païennes auxquelles il s’est prêté, et il est arrêté et torturé. Puis Maximus le reçoit en audience – son bureau est là aussi celui d’un homme qui travaille énormément, et dans la simplicité, pour l’Empire – et se trouve félicité par ce dernier d’avoir si bien supporté l’interrogatoire, et d’être foncièrement innocent. Il pourra donc poursuivre sa mission comme légat de Rome, mais, en partant, recevra cinq coups de fouet, « one for each wound that Our Lord suffered upon the Cross. No more, and with an unweighted whip. We are disposed to be merciful ». Maximus mentionne aussi son intention d’en finir avec les Priscillianistes aussi, mais le congédie en lui rappelant quand même, avec émotion : « we were soldiers together, you and I, soldiers on the Wall. Go with God »14. Durant le restant de la trilogie, on n’entendra parler que de la chute de Maximus et de son exécution par Théodose. Gratillonius, pendant ce temps, aura incorporé le monde légendaire de la ville d’Ys et ne sera plus concerné par les affaires de Rome.

On reviendra donc à Peter Vansittart, avec son roman Three Six Seven (1981), narré par un certain Drusus, riche marchand et politique romain, qui survit à l’année de tous les dangers, 367, celle de la « conspiration barbare15 ». Il prend part à la défense de Silchester, est témoin des manœuvres d’un Valentinus, soldat rude et malin, pour usurper le diadème, et accueille avec soulagement le débarquement de Théodose l’Ancien et de Maximus à la tête d’une armée de reconquête. Drusus – à l’instar de bien des « Romano-Britons » dans les romans historiques – voit l’avenir dans une Bretagne indépendante, pourvue de son propre César :

If the Diadem contracted to this island capital, it would glitter more fiercely, more assuredly […]. This island, compact and walled, need no longer bleed to death in renting barbarians to defend it from themselves.16

Aussi, Maximus apparaît comme l’homme providentiel, quand Drusus le distingue aux côtés de Théodose l’Ancien :

[…] darker, short-bearded like Hadrian, scarlet-cloaked, matching Theodosius in size and indeed presence, legs apart, arms folded, wide-eyed, slightly smiling, perhaps less intractable than his commander, quick and impulsive, stood that man, another Spaniard, Magnus Clemens Maximus.17

mais avec quelque chose de fuyant, « who seemed everywhere at once, but never remaining »18. Aussitôt, le courant passe entre les deux hommes:

Two dark brown eyes briefly stared at me, giving me an exceptional tremor, as though Fortuna had taken my wrist. The unruly hair, strong nose, mouth, bearded chin, of Magnus Clemens Maximus. He passed on in silence but something had been exchanged.19

Un des moments les plus intéressants du roman correspond à la description quasi « iconique » – tout comme, dans Lancelot, quand ce dernier décrit Ambrosius et Arthur, se tenant côte à côte « in icon-like simplicity, the last true leaders of the West »20 – de Maximus et de Théodose, faisant apparaître leurs différences, et révélant peut-être les origines d’un conflit à venir symbolisé par deux roses21 :

Theodosius himself, slowly, even ceremoniously, handed Maximus a red rose, and, Maximus, eyes lighting up, gave him a white. They stood, facing each other, clutching the tiny flowers, distinct from all others, the bright air flat on their faces, and with insight peculiar to me, I was instantly convinced that Britain’s fate lay, not with Treves, but with one of these men, both of my own age, both with unblemished and constant success. It did not lie with both.
I must revise my plans. I assessed them like a race-goer betting on champions. Theodosius, the hereditary landowner, reclined at banquets in the old manner, Maximus, a new man, was soon impatient to depart, was always more at ease on camp-stool or tavern bench, joking with inferiors. Both were Christian, but while Theodosius seemed merely to conform to an organization politically useful, Maximus was a fervid, though erratic believer. Both indeed had sudden barely controllable angers, Theodosius using anger methodically to crush opposition, while Maximus, more spontaneous, was liable to waste it on mere nuisances : a « heretic », a lying slave, a talkative woman.22

Ils passeront une nuit entière en conversation, le « rêve » de Maximus d’essence politique rejoignant celui de Drusus, et commençant d’abord par la reconquête du pays.

Là aussi, Vansittart s’emploie à brosser un portrait psychologique d’une grande finesse, en contrastant l’un et l’autre des deux généraux venus au secours de la Bretagne :

Theodosius’ eyes were bone-like : those now accosting me, alternately challenging and hospitable, were younger, quicker, less controlled, more vulnerable. He was not the supernal genius who wins without fighting, but, younger than his years, needing the praise, the warmth he so easily attracted. […]
As if offering credentials, he was cheerfully revealing his birth-sign, Aries, with Mars rising in the East, denoting the triumphant soldier. Did he realize that it also entailed emotional outbursts and extravagant cravings ?23

Il sait s’adresser à un homme comme Drusus pour l’attirer à sa cause : « Men like you are the brothers I’ve always looked for »24.

Son catholicisme fervent et persécuteur est aussi au service de l’État :

Maximus believed himself a Christian, though I doubted whether, in 368, he could have clearly explained Jeheshua’s teachings. Priscillian’s attack on all government, however, shocked and angered him.25

Aussi, lorsqu’un jeune officier défend l’hérétique devant lui, il se met en colère, l’attrape à la gorge et lui donne un coup de genou dans les parties avant de partir en claquant la porte : Maximus était « not complex, but elemental, liable to dream of building what he might callously or thoughtlessly destroy »26.

L’un des points faibles du roman est de faire un grand bond de 367 à 383 sans rien dire, ou presque, de ce qui s’y est déroulé (peut-être était-ce la faute de l’éditeur de Vansittart qui le limitait strictement à 200 pages). On serait tenté de le combler par l’évocation des campagnes menées par Maximus sous le commandement de Théodose l’Ancien en Afrique du Nord, puis de son retour en Bretagne, des années après, avec le titre de duc ou de comte ; mieux encore, d’en faire un subtil entrelacs avec le mariage de Maxime, incorporant le « Songe » amoureux dans le récit ainsi que l’alliance politique que cela a pu entraîner. Vansittart, à travers Drusus, expédie l’usurpation et les cinq ans de règne en quelques pages. Drusus sous-entend que lui-même est un « very important man » et qu’il s’occupe du détail du gouvernement en Bretagne.

Pourquoi échoue-t-il ? Simplement parce qu’il ne s’est pas contenté de régner sur la Bretagne, ni même sur la Gaule.

Lord of half the West, like a gluttonous child, he wanted more. He was bemused by Rome. […] He was an Alexander, discontented with the sufficient, hypnotized by size and space, the mysterious and spurious lure of the East.27

Il a surtout refusé de suivre les conseils du narrateur :

Repeatedly I warned him that real power was not in Italy, not even in Gaul and Spain, but in Britain. He never replied, but denuded us further in wealth and manpower.
Most solemnly […], I besought him at all costs to conciliate Theodosius, and at last he responded, rebuking me in false jocularity, for doubting his manliness. I could do no more. Undisputed Lord, I should have been overseeing the West […].28

Sa politique se résume à deux grandes causes, dénoncer l’arianisme, protéger les Juifs. Or, ce n’était pas suffisant, « the mighty adventure petering out in mud and a flash of swords »29.

Ce choix est donc un désastre pour le narrateur, accusé de trahison, ses biens confisqués, mais sa vie épargnée, et il vit le restant de ses jours à Milan dans la pauvreté. Et c’est ainsi qu’il s’en prend non aux événements, mais aux failles de la personnalité de Maximus :

Foolish choice ruined me, judgement not of events, but simply of that man. He was calamitous, but has slammed himself into the history books […]. But no poet will rhyme my virtues, which were many ; no lonely woman whisper my name as she pleasures herself ; my statues never enthralled Milan, Treves, the Sacred Palace, Rome and London.30

Vansittart développe une nouvelle fois la perspective qu’il a appliquée, dans Lancelot, à la Matière de Bretagne : la capacité qu’ont les peuples à transformer une histoire brutale et sans éclat en mythologie rayonnante et, plus subtil encore, un certain déficit d’âme qui empêche certains, trop rationnels, Lancelot et Drusus, de ressentir l’ivresse de la légende ou tout simplement de comprendre une dimension dans laquelle ils ne pénètrent pas :

The Britons retrieved by the Empire, are singing epic tales of who else but Maximus, marrying a British goddess of crossroads, Elen, or a Christian holy woman, Helen of Hosts, virgin even after repeated intercourse, which I doubt if Maximus, for all his devotion, would have much praised. His statues are overthrown, but his Genius has escaped into song, which unlocks gates to the unimagined or unimaginable. Now he is Macsen, British emperor and wizard.
The Roman world is too large, too complex, to be understood by any save the exceptional, but it can be condensed, then mastered, by an image. Ironically Maximus may be such an image. Despite his mad-bull schemes he may yet fulfil my own, so that, if justice survives, I, mistreated, disregarded, swindled, could one day be acclaimed as the true founder of Britain. Before the Conquest, she had heroes but no history : the Emperors valued her exports, but she remained flavourless and without a centre. Today, a Spanish failure is giving her both. He will be the British Eneas, with myself as a sort of Jupiter.31

Variations et perspectives : un rêve pour Maximus

Créditant Maxime d’un excellent sens de l’intendance – et s’inspirant de l’abondance de monnaies d’argent frappées au nom de cet empereur, dont la plupart ont été retrouvées en Grande-Bretagne, le romancier Keith Taylor associe son personnage principal, le barde irlandais Felimid, à la découverte d’un immense trésor qui permettra au roi Arthur de financer ses campagnes32.

Parmi les récentes apparitions de Maxime, on peut citer le cycle de Tintagel de M. K. Hume (The Blood of Kings, The Poisoned Throne, The Wolf of Midnight) disponible surtout en e-novella (2015-2016). L’auteur s’est employée à suivre certaines pistes légendaires, en commençant par l’alliance entre Maxime et les chefs gallois, mais en poursuivant jusqu’au milieu du Ve siècle. Ainsi sa fille Sevira épouse-t-elle un officier du nom de Constantin, qui se lancera dans la même funeste entreprise, celle de conquérir l’empire d’Occident tout entier au lieu de se contenter de la Grande Bretagne, et sera mère d’Uther et d’Ambrosius. Si le récit est plein de bruit et de fureur, on observe une certaine régression dans les stéréotypes : les Romains portent encore les vieux grades du temps de César, le christianisme militant de Maxime est biffé en faveur, encore et toujours, du culte de Mithra.

On pourrait rêver, cependant, d’une saga familiale partant de l’histoire documentée des cinq ans de règne de Magnus Maximus et se prolongeant avec sa descendance présumée dans la tourmente du siècle suivant – Sevira, épouse de Vortigern, certes, mais aussi Owain Finddu, les intrigues, conflits ou alliances qui les feraient croiser pour le meilleur ou pour le pire l’autre dynastie impériale bretonne au destin tragique, Constantin III, son fils Constant le « roi Moine », une période qui a fait l’objet d'un roman dont le réalisme anticipait celui de Vansittart sous la plume d’Alfred Duggan dans The Little Emperors (1951)33. Bien évidemment, il y aurait matière à tourner un film historique en espérant que le réalisateur s’entourerait d’experts de l’Antiquité tardive, de ses costumes, ses armes et son architecture afin d’éviter les anachronismes habituels à ce genre d’exercice.

En attendant le mystère de Maximus-Macsen reste fécond, et a même émigré sur la toile où l’on peut voir apparaître un buste étrange, inquiétant, sans explication, accompagné de la légende : « Magnus Maximus : I am the greatest emperor of all time. »34

Notes

1 Sur le personnage historique de Magnus Maximus et les sources qui permettent de connaître sa carrière et son règne, voir la contribution de James Gerrard. Retour au texte

2 David Hughes, The British Chronicles, Westminster (MD), Heritage Books, 2007, p. 128-135. Retour au texte

3 Wallace Breem, Eagle in the Snow, Londres, Gollancz, 1970. Retour au texte

4 Ambrosius Aurelianus est le seul individu dont le nom soit cité par Gildas dans son récit de l’histoire des temps post-romains dans l’île de Bretagne (VIe siècle) : dans le De Excidio Britanniae, § 25, il apparaît comme une figure très positive, le « dernier des Romains » et un rassembleur des Bretons dans leur lutte contre les envahisseurs saxons. Repris, développé et amplifié par le pseudo-Nennius, par la tradition galloise et enfin par Geoffroy de Monmouth et ses émules, le personnage d’Ambrosius (aussi appelé Emrys, Aurèle Ambroise, etc.) fait l’objet de nombreux récits concurrents tout au long du Moyen Âge et au-delà ; certains textes l’assimilent à Merlin. Retour au texte

5 Rosemary Sutcliff, Sword at Sunset, Londres, Hodder & Stoughton, 1963, p. 22. Retour au texte

6 Ibid., p. 390. Retour au texte

7 Mary Stewart, The Hollow Hills, London, Hodder & Stoughton, 1971, p. 158. Retour au texte

8 Ibid., p. 267. Retour au texte

9 Peter Vansittart, Lancelot, Londres, Peter Owen, 1973, p. 19. Retour au texte

10 Ibid., p. 109. Retour au texte

11 Ibid., p. 29. Retour au texte

12 Marc Rolland, Le Roi Arthur, un mythe héroïque au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 99. Retour au texte

13 Poul et Karen Andersen, Roma Mater, Baen Books, 1986, p. 7-11 pour ces citations. Retour au texte

14 Poul et Karen Anderson, Gallicenae, Baen Books, 1987, p. 67-68. Retour au texte

15 L’expression barbarica conspiratio (reprise à Ammien Marcellin, Historia, XVIII, 8, 1) désigne une explosion de violence en Bretagne romaine, l’invasion simultanée – et peut-être-concertée – des Pictes, Scots, Attacotti et Saxons, qui commença en l'hiver 367 à la suite de le rébellion de certaines unités stationnées sur le Mur d’Hadrien et de la trahison des areani (ou arcani), ces agents-éclaireurs chargés de surveiller les mouvements des tribus du Nord. L’armée de reconquête dépêchée par Valentinien Ier fut commandée par le comte Théodose l’Ancien et son fils Théodose, futur empereur ; Magnus Maximus exerça aussi, sans doute, un commandement important lors de cette expédition. Retour au texte

16 Peter Vansittart, Three Six Seven. Memoirs of a Very Important Man, Londres, Peter Owen, 1983, p. 204-205. Retour au texte

17 Ibid., p. 189. Retour au texte

18 Ibid., p. 192. Retour au texte

19 Ibid., p. 197-198. Retour au texte

20 Peter Vansittart, Lancelot, op. cit., p. 89. Retour au texte

21 Vansittart nous offre là un clin d’œil shakespearien. Le rouge et le blanc des deux roses peut en outre être associé au rouge et au blanc des deux dragons du pseudo-Nennius : il est donc intrinsèquement lié au « destin de l'île de Bretagne » (« Britain’s fate »), me rappelle Alban Gautier. Retour au texte

22 Peter Vansittart, Three Six Seven, op. cit., p. 198-199. Retour au texte

23 Ibid., p. 201. Retour au texte

24 Ibid. Retour au texte

25 Ibid., p. 216. Retour au texte

26 Ibid., p. 217. Retour au texte

27 Ibid., p. 229-230. Retour au texte

28 Ibid., p. 230. Retour au texte

29 Ibid., p. 231. Retour au texte

30 Ibid., p. 9. Retour au texte

31 Ibid., p. 233. Retour au texte

32 Keith Taylor, « Buried Silver », in The Pendragon Chronicles, éd. Mike Ashley, London, Robinson, 1989. Retour au texte

33 Alfred Duggan, The Little Emperors, Londres, Faber & Faber, 1951. Retour au texte

34 https://www.haikudeck.com/flavius-clemens-magnus-maximus-uncategorized-presentation-Ta3zkO6cyP, consulté le 10 juin 2019. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Marc Rolland, « Maximus-Macsen dans la littérature : Prince « du Rêve » ou usurpateur légitimé, les paradoxes d'un personnage », Grandes figures historiques dans les lettres et les arts [En ligne], 8 | 2019, mis en ligne le 15 juillet 2019, consulté le 17 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/figures-historiques/288

Auteur

Marc Rolland

Université du Littoral Côte d'Opale

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